CHAPITRE SIX

Le grand salon du Shepheard’s. Le bon gin du bar, avec plein de cubes de glace et juste ce qu’il faut de citron. Il était heureux qu’on lui eût autorisé cela. Il était devenu un véritable ivrogne. Cette révélation lui était plus qu’agréable. Dès son retour en Angleterre, il se saoulerait à mort.

Se décideraient-ils enfin à arrêter ? Ils avaient certainement compris qu’il ne leur dirait rien. Ils lui faisaient l’impression de mannequins : leurs gestes étaient mécaniques, leurs mâchoires animées de mouvements saccadés, comme si elles étaient tirées par des ficelles. Même le charmant jeune homme dont le travail consistait à apporter la glace et le gin avait l’air de jouer un rôle. Tout était faux. Grotesques, les silhouettes qui déambulaient dans le hall ; discordante, la musique qui s’échappait des salons et de la salle de bal.

Parfois, les mots qu’ils disaient n’avaient aucun sens. Il connaissait la définition de chacun d’entre eux, mais quelle était sa signification ? Des cadavres, nuque brisée. Avait-elle fait cela pendant le bref laps de temps où il s’était absenté ?

« Je suis fatigué, messieurs, dit-il enfin. Il règne ici une chaleur insupportable. Aujourd’hui, j’ai fait une mauvaise chute. J’ai besoin de repos. Vous devez m’autoriser à regagner ma chambre. »

Les deux hommes se regardèrent. Leur frustration était fictive. Rien n’était réel ici. Qu’est-ce qui l’était vraiment ? Les mains de Cléopâtre qui se referment sur sa gorge ? Le personnage vêtu de blanc qui surgit pour l’en empêcher ?

« Lord Rutherford, nous avons maintenant affaire à plusieurs meurtres ! Visiblement, l’homme poignardé à Londres n’était que le numéro un d’une longue liste. Nous devons vous demander votre entière collaboration. Ces deux jeunes hommes assassinés cet après-midi…

— Je vous l’ai déjà dit, je n’ai rien à voir avec cela. Qu’est-ce que vous attendez, jeune homme, que je vous brode illico une histoire ? C’est absurde.

— Henry Stratford. Savez-vous où nous pouvons le trouver ? Il est venu ici même, au Shepheard’s, il y a deux jours, afin de vous rencontrer.

— Henry Stratford fréquente les quartiers les plus mal famés du Caire. Il traîne toutes les nuits dans les rues sombres. J’ignore où il est à cette heure. Maintenant je dois vraiment m’en aller. »

Il se leva. Où était donc cette satanée canne ?

« N’essayez pas de quitter Le Caire, monsieur, lui dit le plus jeune, le plus arrogant aussi. Nous avons votre passeport.

— Quoi ? Vous m’insultez !

— Je crains que cette mesure ne s’applique également à votre fils et à Mlle Stratford. Nous avons demandé leurs papiers à la réception. Lord Rutherford, nous devons tirer cette affaire au clair.

— Insolent ! s’écria Elliott. Je suis citoyen britannique Comment osez-vous ? »

L’autre prit la parole.

« Monsieur, permettez-moi de vous parler avec franchise. Je sais quelle est votre intimité avec la famille Stratford, mais pensez-vous que Henry Stratford pourrait être associé à ces meurtres ? Il connaissait l’homme de Londres, celui qui a été poignardé. L’Américain découvert dans la pyramide avait sur lui beaucoup d’argent. Et nous savons que Henry Stratford avait pas mal de problèmes de ce côté-là. »

Elliott affronta son regard sans sourciller. Accuser Henry. Il n’y avait pas pensé. C’était pourtant évident ! On pouvait tout lui mettre sur le dos !

« Ce n’est peut-être pas tout, reprit l’homme. Nous avons aussi deux vols mystérieux sur les bras. Celui de la momie du musée du Caire, bien entendu, mais il semble aussi que la momie de la collection Stratford ait été dérobée dans la maison de Mayfair.

— Vraiment ?

— Un bijou égyptien d’une valeur inestimable a été trouvé chez la maîtresse de Henry Stratford, une certaine Daisy Banker, chanteuse de son état…

— Oui…

— Ce que j’essaie de vous dire, monsieur, c’est que Henry Stratford était peut-être impliqué dans une affaire de contrebande… de bijoux anciens, de monnaies et de momies…

— Des momies ? Henry ? »

C’était vraiment trop drôle. Henry accusé d’avoir volé des momies, alors qu’il flottait à présent dans le bitume !

« Vous comprenez, Lord Rutherford, que nous n’orientons peut-être pas très bien nos recherches.

— Dans ce cas, que faisait Ramsey au musée ? dit le plus jeune avec une certaine impatience.

— Il essayait de neutraliser Henry, murmura Elliott. Il a dû le suivre pour tenter de lui parler de Julie…

— Mais comment expliquez-vous les pièces de monnaie ? demanda le jeune, assez échauffé. On en a retrouvé sept à l’effigie de Cléopâtre dans la chambre de Ramsey.

— C’est pourtant évident, dit Elliott qui réfléchissait à toute allure. Il a dû les prendre à Henry quand ils se sont querellés. Il savait ce que Henry voulait en faire, il voulait l’empêcher…

— Cela n’a aucun sens ! s’écria le jeune fonctionnaire.

— Moi, je trouve que l’on commence à y voir clair, dit son collègue.

— Dans ce cas, dit Elliott, je désirerais consulter mon avocat, si vous le permettez. Et j’exige de récupérer mon passeport ! Je présume que je peux demander l’assistance d’un avocat ? Ce privilège de la citoyenneté britannique n’a pas été révoqué, que je sache !

— Lord Rutherford, je vous en prie. Mais qu’est-ce qui a pu pousser le jeune Stratford à se conduire de la sorte ?

— Le jeu, mon cher. Eh oui, le jeu. C’est une véritable drogue. Elle a détruit son existence. »

 

Vivante, intacte, mais démente ! Plus folle encore qu’avant qu’il ne lui donnât l’élixir. Voilà ce dont il était responsable. Et comment ce cauchemar pourrait-il prendre fin ?

Il parcourut en tous sens les ruelles du vieux Caire. Elle avait disparu. Comment pouvait-il espérer la retrouver ?

S’il ne s’était jamais aventuré dans les salles obscures du musée du Caire, il aurait suivi un tout autre chemin. Avec Julie Stratford à ses côtés, le monde lui aurait appartenu !

Et si Julie avait raison ? Si la créature qu’il avait tenue dans ses bras n’était qu’un double monstrueux de Cléopâtre ?

Il ne savait plus que penser. C’était là la chair qu’il avait jadis adulée, la voix qui avait prononcé des mots d’amour ou de fureur, la femme qui l’avait brisé, finalement – la femme qui avait préféré payer de sa vie plutôt que de boire l’élixir d’immortalité. Il y a deux mille ans de cela, elle avait crié son nom en ses derniers instants – du moins l’avait-elle balbutié – et il n’avait pas entendu son ultime appel ! Oui, il l’aimait, de même qu’il aimait Julie Stratford. Il les aimait toutes les deux !

 

Il y avait là des vêtements précieux, des effets qui la charmaient parce qu’ils possédaient à la fois la douceur et la simplicité des temps anciens. De plus, ils étaient brodés d’or et d’argent.

Elle posa la main sur la vitrine. Elle lut la pancarte rédigée en anglais :

 

LES PLUS BELLES TOILETTES POUR LE BAL DE L’OPÉRA

 

Oui, elle méritait ce qu’il y avait de plus beau. Et son sac était bourré d’argent. Elle avait également besoin de chaussures avec des talons comme des dagues effilées.

Et de bijoux.

Elle frappa à la porte. Une grande femme aux cheveux d’argent vint lui ouvrir.

« Nous allions fermer, chère madame. Je suis désolée, si vous pouvez revenir…

— S’il vous plaît, cette robe ! » dit-elle. Elle ouvrit son sac et en sortit une pleine poignée de billets. Plusieurs d’entre eux tombèrent à terre.

« Chère madame, vous ne devriez pas emporter une telle somme sur vous à cette heure du jour », lui dit la femme. Elle se pencha pour ramasser les billets. « Entrez, je vous en prie. Vous êtes seule ? »

L’intérieur de la boutique était charmant. Elle toucha le velours cramoisi des chaises. Et toutes ces statues, semblables à celles de la vitrine ! Celles-ci ne portaient pas seulement des robes, mais aussi des fourrures. Un lourd manteau de fourrure blanche l’attirait tout particulièrement.

« Je le veux, dit-elle.

— Mais bien entendu, chère madame !

— Est-ce… pour le bal de l’opéra ? demanda-t-elle à la femme interloquée.

— Oh, ce serait tout à fait charmant ! Je vais vous le faire essayer !

— Ah, il me faut aussi une robe, voyez-vous, et puis aussi des escarpins, et encore des perles et des rubis, si vous en avez, car j’ai perdu toutes mes affaires, tous mes bijoux.

— Nous allons nous occuper de vous ! Veuillez vous asseoir, je vous prie. Voyons, quelle est votre taille ? »

 

C’était une histoire absurde, mais cela passerait : Henry s’introduisant par effraction au musée des Antiquités afin de voler une momie qui lui permettrait de régler ses dettes. La vérité était cependant encore plus absurde, et il ne devait pas l’oublier ! Nul ne voudrait jamais l’admettre.

Il appela son vieil ami Pitfield dès qu’il eut regagné sa suite.

« Dites-lui que c’est Elliott Rutherford. Oui, j’attends. Ah, Gerald. Pardon de vous déranger pendant votre dîner. J’ai quelques ennuis avec les autorités. Henry Stratford aurait, commis des indélicatesses. Oui. Oui, ce soir, si cela ne vous dérange pas. Je suis descendu au Shepheard’s, bien entendu. Ah, c’est merveilleux, Gerald, je savais que je pouvais compter sur vous. Dans vingt minutes, d’accord. Au bar. »

Il reposait le combiné quand Alex franchit la porte.

« Père, Dieu merci vous êtes de retour. Ils nous ont confisqué nos passeports ! Julie est dans tous ses états. Miles vient de lui raconter une histoire terrible : un malheureux Américain a été assassiné aux pyramides et un Anglais s’est fait tuer devant le Café international.

— Alex, fais tes bagages, lui dit son père. Je suis déjà au courant de tout cela. Gerald Pitfield va bientôt arriver. Il aura récupéré nos papiers demain matin, je te le promets. Julie et toi pourrez prendre le train.

— Il faudra que vous le lui disiez vous-même, père.

— Je le ferai, mais, pour l’instant, je dois voir Pitfield. Donne-moi le bras et conduis-moi à l’ascenseur.

— Mais, père, qui est responsable…

— Mon fils, je ne veux pas être celui qui te l’apprendra. Et certainement pas celui qui le révélera à Julie. Mais il semble que Henry soit lourdement impliqué dans cette affaire. »

 

Son choix avait été des plus exquis : un « satin » vert pâle avec des rangées de « boutons » de nacre et de la « dentelle de Bruxelles ». Le col de fourrure était tout à fait seyant, lui avait dit la femme, qui paraissait vraiment s’y connaître.

« Votre chevelure est si belle, quel dommage de la nouer, chère madame, mais il conviendrait tout de même… Peut-être demain pourrais-je vous prendre un rendez-vous chez un coiffeur…»

Naturellement, elle avait raison. Les autres femmes n’étaient pas du tout coiffées comme elle.

Et sa robe du soir ? Une création exceptionnelle !

Elle était à présent pliée dans un grand carton, de même que tous les autres effets qu’elle avait choisis : « jupons » froufroutants, robes, chaussures, chapeaux, mouchoirs de soie, écharpes, et tant d’autres choses…

Dans la boutique, la femme avait presque fini de faire ses comptes. Elle ouvrit le tiroir d’un gros appareil de bronze, la « caisse enregistreuse », dans lequel il y avait encore plus d’argent que Cléopâtre n’en possédait.

« Cette tenue vous va à ravir, dit la femme. Elle donne des reflets verts à vos yeux bleus. »

Cléopâtre se mit à rire. Tant d’argent !

Elle quitta sa chaise et traversa lentement la boutique en faisant cliqueter ses talons sur le marbre du sol.

Elle enserra la gorge de la malheureuse avant que celle-ci eût même le temps de lever la tête. Un hoquet, des yeux qui s’étonnent, puis un craquement bref, une nuque qui se brise.

Inutile de penser à cela, de contempler l’abîme qui la séparait de cette femme qui gisait à terre, sous le petit comptoir. Tous ces êtres étaient à sa disposition quand l’envie de tuer la prenait, et qui eût pu l’en empêcher ?

Elle fourra une partie de l’argent dans une pochette de satin et le reste dans le sac de toile. Elle prit aussi les bijoux exposés dans la petite vitrine, sous la « caisse enregistreuse ». Puis elle empila ses nombreux cartons et alla les déposer à l’arrière de la voiture.

Et maintenant, en route vers ce que l’Américain avait décrit comme « l’hôtel numéro un », l’endroit de prédilection des riches étrangers venus séjourner au Caire.

Elle eut un rire de gorge en pensant à l’Américain et à sa façon de lui parler, comme si elle était une demeurée ! Peut-être au Shepheard’s rencontrerait-elle quelqu’un qui ferait preuve de charme et de bonnes manières, quelqu’un d’infiniment plus intéressant que ces misérables âmes qu’elle avait renvoyées vers les sombres demeures dont elles étaient issues.

 

« Au nom du Ciel, que s’est-il passé ici ! s’écria le plus âgé des deux fonctionnaires. Il se tenait dans l’encadrement de la porte d’entrée de la maison de Malenka, peu enclin à y pénétrer sans mandat ni autorisation. Nul n’avait répondu quand il avait frappé à la porte, quand il avait crié le nom de Henry Stratford.

Il vit du verre brisé sur la coiffeuse de la chambre. Et sur le sol des taches qui ressemblaient à du sang.

Impatient comme à son habitude, son collègue s’était aventuré dans la cour, équipé de sa torche électrique. Des chaises renversées. Des assiettes brisées.

« Davis, venez voir ! Il y a un cadavre de femme ! »

L’autre ne vint pas tout de suite. Il regardait le perroquet mort dans la cage. Les bouteilles vides du bar. Le manteau accroché.

Il s’obligea à se rendre dans le jardin sombre et à voir le corps par lui-même.

« C’est elle, dit-il. Malenka, la danseuse du Babylone.

— Vu les circonstances, je ne pense pas que nous ayons besoin d’un mandat. »

Le fonctionnaire le plus âgé revint dans le salon et dans la chambre.

Il regarda la robe déchirée qui gisait à terre et les curieux chiffons entassés dans un coin de la pièce. Il ne s’occupa pas de son collègue qui, frénétique, notait des choses dans un petit carnet. Ces chiffons, on eût dit des bandelettes de momie. Une partie du lin paraissait neuve toutefois.

Il leva les yeux quand son collègue l’appela et lui présenta un passeport.

« C’est celui de Stratford, dit le jeune homme. Ses papiers sont tous là, dans son manteau. »

 

Elliott prenait appui sur le bras d’Alex quand ils sortirent de l’ascenseur.

« Que se passera-t-il si Pitfield ne parvient pas à arranger les choses ? demanda Alex.

— Nous continuerons à nous conduire en êtres civilisés tant que nous devrons résider ici, lui répondit son père. Tu accompagneras Julie à l’opéra demain soir ainsi qu’il était prévu. Tu la conduiras ensuite au bal. Et tu te tiendras prêt à partir dès que ton passeport t’aura été rendu.

— Elle n’est pas d’humeur à assister à ces festivités, père. Et dût-elle s’y rendre, je pense qu’elle préférerait se faire accompagner par Samir, si vous voulez mon avis. Depuis le début de cette histoire, elle n’a confiance qu’en lui. Il est toujours à ses côtés.

— Tu vas malgré tout l’emmener à l’opéra. Nous devons nous faire voir tous ensemble demain soir. Maintenant laisse-moi seul, j’ai des affaires à régler. »

 

Oui, elle aimait le Shepheard’s, elle le savait déjà. Elle avait remarqué cet hôtel au cours de l’après-midi, les longues files de voitures, les hommes et les femmes élégamment vêtus qui en descendaient pour pénétrer dans l’établissement.

Les voitures étaient maintenant bien moins nombreuses. Elle s’arrêta juste devant rentrée et un serviteur jeune et charmant vint lui ouvrir sa portière. Elle prit son sac de toile et sa pochette avant de monter les marches tandis que d’autres serviteurs s’affairaient avec ses bagages innombrables.

Le salon lui plut tout de suite. Elle n’avait pas imaginé que les salles de ce palais pussent être aussi vastes. La foule des clients avait quelque chose d’excitant. Ces « temps modernes », c’était vraiment un univers d’élégance.

« Puis-je vous aider, mademoiselle ? » Un autre serviteur l’approchait. Quel étrange accoutrement, le chapeau surtout… S’il y avait quelque chose qu’elle n’aimait pas dans ces « temps modernes », c’étaient bien les chapeaux !

« Oui, je voudrais prendre mes quartiers ici, dit-elle en prononçant le mieux possible. C’est bien le Shepheard’s, l’hôtel numéro un ?

— Tout à fait, mademoiselle. Je vais vous conduire à la réception.

— Attendez », murmura-t-elle. À quelques mètres de là, elle avait aperçu le seigneur Rutherford ! Pas d’erreur possible, c’était bien lui. Et un jeune homme l’accompagnait, une exquise créature, grande et mince, aux traits de porcelaine, auprès de laquelle ses compagnons précédents lui paraissaient vulgaires.

Elle plissa les yeux et tendit l’oreille afin de mieux se concentrer et de tenter d’entendre ce que disait le jeune homme, mais il était trop loin. Les deux hommes se séparèrent. Le seigneur Rutherford se dirigea vers une grande pièce sombre.

« C’est Lord Rutherford, mademoiselle, lui dit l’employé.

— Oui, je sais, mais le bel homme, qui est-ce ?

— Ah, c’est son fils, Alex, mademoiselle, le jeune vicomte Summerfield. Ils descendent souvent au Shepheard’s. Ce sont des amis des Stratford, mademoiselle. »

Elle le regarda d’un air interrogateur.

« Lawrence Stratford, mademoiselle, expliqua-t-il en la prenant par le bras et en l’entraînant doucement vers la réception. Le grand archéologue, celui qui a découvert la tombe de Ramsès.

— Qu’avez-vous dit ? Parlez plus lentement.

— Le tombeau où l’on a retrouvé la momie de Ramsès le Damné.

— Ramsès le Damné !

— Oui, mademoiselle, quelle histoire ! » Il lui désigna une longue table lourdement décorée qui ressemblait à un autel. « Voici la réception, mademoiselle. Vous désirez autre chose ? »

Elle eut un petit rire d’assentiment. « Non, dit-elle, vous avez été formidable. »

Il lui adressa un regard indulgent, le même regard que portaient sur elle tous les hommes. Puis il lui fit signe de s’avancer vers la « réception ».

 

Elliott entra dans le vif du sujet dès que Pitfield se fut assis en face de lui. Il avait conscience de parler trop vite, de dire des choses étranges aussi, mais il ne pouvait ralentir son débit. Qu’Alex s’en aille, que Julie parte d’ici, le plus vite possible. Il ne pensait qu’à cela. Il s’occuperait plus tard de Randolph.

« Nous n’avons absolument rien à faire dans toute cette histoire, dit-il. Ils doivent tous être autorisés à repartir. Je resterai ici, si c’est absolument nécessaire, mais mon fils doit pouvoir s’en aller. »

Gerald, de dix ans son aîné, chenu et quelque peu empâté, l’écoutait attentivement. C’était un homme qui ne buvait pas et travaillait sans cesse afin que sa famille pût apprécier chaque aspect de l’existence coloniale.

« Bien sûr que non, dit-il avec sympathie. Mais attendez, j’aperçois Winthrop. Il est accompagné de deux hommes.

— Je ne veux pas lui parler, dit Elliott. Pas maintenant, pour l’amour du Ciel !

— Ne vous en faites pas, je m’en charge. »

 

Ils furent très étonnés quand elle les régla d’avance en sortant de son sac plusieurs liasses de cette étrange monnaie qu’ils appelaient « livre », bien qu’elle ne pesât pratiquement rien. Les jeunes serviteurs monteraient les bagages dans sa suite, l’informèrent-ils. Les cuisiniers étaient à sa disposition. La salle à manger se trouvait à droite, mais elle pouvait festoyer dans sa chambre. Quant à la coiffeuse, elle ne serait pas libre avant demain.

Elle glissa la clef dans la pochette de satin. Elle trouverait plus tard la suite 201. Elle se précipita vers la porte de la pièce sombre où était entré le seigneur Rutherford et le regarda boire. Lui-même ne la vit pas.

Sur la terrasse, elle aperçut son fils, Alex, appuyé contre un pilier, en grande conversation avec un Égyptien à la peau sombre. L’homme rentra dans l’hôtel. Le jeune homme avait l’air perdu.

Elle marcha vers lui et scruta un instant son visage délicat – une beauté, oui. Le seigneur Rutherford était un homme au charme considérable, certes. Mais celui-ci était si jeune que sa peau paraissait douce comme un pétale. Il était cependant grand, avec des épaules carrées. Et c’est un bon regard qu’il posa sur elle.

« Le jeune vicomte Summerfield, m’a-t-on dit ? » demanda-t-elle sans ambages.

Un sourire radieux. « Je suis Alex Savarell, effectivement. Pardonnez-moi, je ne crois pas avoir eu le plaisir…

— J’ai faim, vicomte Summerfield. Me montrerez-vous la salle de banquet de l’hôtel ? J’aimerais manger quelque chose.

— Mais j’en serais enchanté ! »

Il lui offrit le bras sans la moindre réticence et l’escorta dans le salon encombré avant de pénétrer dans une vaste salle au plafond doré.

Des tables couvertes de nappes blanches étaient disposées le long des murs. Au centre de la salle, des couples dansaient, et les robes des femmes s’épanouissaient comme des fleurs. Et cette musique, si belle, mais si forte qu’elle lui faisait mal aux oreilles. Elle était infiniment plus aiguë que celle de la boîte, dans la maison de l’esclave. Et, surtout, si triste !

Il demanda à un vieillard de leur donner une « table ». Il la dégoûtait, ce vieillard aussi bien vêtu que toutes les personnes présentes. Mais il dit : « Oui, Lord Summerfield » avec beaucoup de respect. Et la table était très belle, avec sa vaisselle ornée et ses fleurs odorantes.

« Quelle est cette musique ? demanda-t-elle.

— Elle vient d’Amérique, répondit-il. C’est de Sigmund Romberg. »

Elle se balança doucement d’arrière en avant.

« Vous voulez danser ? proposa-t-il.

— Ce serait formidable ! »

Il la conduisit au centre de la piste. Comme c’était curieux. Chaque couple dansait comme s’il était seul et accomplissait son propre rituel. Le rythme mélancolique la submergea. Et cet adorable jeune homme, comme il la regardait amoureusement !

« Quel endroit de rêve ! dit-elle. Et cette musique, elle me plaît beaucoup, même si elle me fait un peu mal. Je n’aime pas le bruit, les oiseaux qui crient, les coups de feu.

— Cela ne m’étonne pas, dit-il. Vous paraissez si fragile. Et votre coiffure, puis-je vous dire que je la trouve charmante ? Il est rare, de nos jours, qu’une femme porte ses cheveux avec autant de grâce et de liberté. Vous ressemblez à une déesse. »

Elle se mit à rire. Il était si honnête. Il n’y avait nulle crainte dans ses yeux. On eût dit un prince élevé dans un palais, loin du tumulte. Il semblait trop doux pour le monde réel.

« Me permettrez-vous de vous demander votre nom ? dit-il. Je crois que nous n’avons pas été officiellement présentés, et c’est à nous de le faire, me semble-t-il.

— Je m’appelle Cléopâtre, reine d’Égypte. » Comme elle aimait danser, tourner, être emportée sur le sol brillant comme de l’eau.

« Oh, je pourrais presque vous croire, dit-il. Vous ressemblez à une reine. Puis-je vous appeler Votre Altesse ? »

Elle rit. « Votre Altesse. Est-ce ainsi que l’on s’adresse à une reine ? Oui, vous pouvez m’appeler Votre Altesse. Et je vous appellerai… seigneur Summerfield. Ces hommes que l’on voit ici, ce sont tous… des princes et des seigneurs ? »

 

Dans le miroir mural, Elliott vit Winthrop et ses hommes se retirer. Il fit signe au serveur. Pitfield revint s’asseoir en face de lui.

« Encore des ennuis, dit-il. Le jeune Stratford fait encore parler de lui.

— Que se passe-t-il ? Dites-le-moi !

— C’est incroyable. Une danseuse du ventre, la maîtresse de Henry Stratford, a été retrouvée dans le jardin de sa maison, la nuque brisée. Toutes les affaires de Henry se trouvaient là, son passeport, son argent, tout. »

Elliott déglutit péniblement. Un autre verre lui ferait le plus grand bien. Il pensa qu’il ferait bien de dîner s’il ne voulait pas que tout cet alcool le rendît malade.

« La même chose est arrivée à l’étudiant d’Oxford cet après-midi, la nuque brisée, ainsi qu’à l’Américain parti visiter les pyramides et à la femme de ménage du musée. Je me demande pourquoi il a pris la peine de poignarder Sharples ! Vous feriez mieux de me dire tout ce que vous savez. »

Le serveur apporta le gin et Elliott ne pût attendre de boire.

« C’est bien ce que je craignais. Il a perdu l’esprit en repensant à ce qu’il avait fait.

— Le jeu…

— Non, la mort de Lawrence. C’était Henry, voyez-vous, avec le poison renfermé dans le tombeau.

— Seigneur ! Vous êtes sérieux ?

— C’est ainsi que tout a commencé, Gerald. Il voulait faire signer des papiers à Lawrence. Il a certainement imité sa signature, mais peu importe. Il a reconnu son crime.

— Il vous l’a dit ?

— Non, à quelqu’un d’autre. » Il s’interrompit pour boire un peu et ajouta très vite : « À Ramsey.

— Ramsey, l’homme que nous recherchons.

— Oui, Ramsey a essayé de lui parler, tôt ce matin, avant que Henry ne devienne fou et ne s’introduise dans le musée. Au fait, vous me dites qu’ils sont allés dans la maison de cette danseuse du ventre. Y ont-ils trouvé la trace d’une momie, des bandelettes peut-être ? Cela confirmerait la culpabilité de Henry et innocenterait définitivement Ramsey. Il n’est allé au musée que pour discuter avec Henry.

— Vous en êtes certain ?

— Tout est ma faute. Je ne pouvais pas dormir, mes rhumatismes me faisaient souffrir. À cinq heures du matin, je suis rentré, j’étais allé faire un tour. J’ai vu Henry, fin saoul, près du musée, ainsi que je vous l’ai dit. Je pensais qu’il traînait de bar en bar. J’ai commis l’erreur de le dire à Ramsey, qui descendait prendre un café. Ramsey avait déjà tenté de faire entendre raison à Henry. Il est parti à sa recherche, un peu pour Julie…

— Julie et ce Ramsey, est-ce qu’ils…

— Oui. Les fiançailles avec Alex sont rompues, mais ils entretiennent toujours d’excellents rapports. Alex et Ramsey sont amis, d’ailleurs. Ramsey essayait de faire échouer le vol quand la police l’a appréhendé. C’est un homme étrange. Il a paniqué. Mais vous éclaircirez sûrement tout ceci.

— Je ferai de mon mieux, mais pourquoi diable Stratford s’est-il introduit dans le musée pour y dérober une momie ?

— Je ne me l’explique pas très bien moi-même. » Pas mal, pensa-t-il, assez satisfait. « Tout ce que je sais, c’est que la momie de Ramsès le Damné a disparu à Londres et que, apparemment, il a également volé des monnaies et des bijoux. Je pense qu’il y a été obligé pour se procurer une grosse somme en liquide, par exemple.

— Il serait donc entré par effraction dans le plus célèbre musée du monde ?

— La sécurité égyptienne n’est pas très efficace, mon cher. Et vous n’avez pas vu Henry depuis plusieurs mois, n’est-ce pas ? Il s’est beaucoup détérioré. C’est peut-être un cas de pure folie. Je ne veux pas qu’Alex et Julie restent au Caire, mais ils ne partiront pas d’ici tant que Ramsey n’aura pas été innocenté. »

Il termina son gin.

« Gerald, tirez-nous de ce mauvais pas, je vous en prie. Je vais essayer de contacter Ramsey. Il m’écoutera certainement s’il se voit garantir l’immunité. Vous pouvez vous charger de cela, Gerald, cela fait des années que vous travaillez ici.

— Oui. L’affaire doit être menée avec délicatesse, quoique rondement. Ils en ont après Stratford à présent. Il suffit de disculper Ramsey. Mais revenons à Henry. Vous avez une idée de l’endroit où il pourrait se trouver ? »

Dans une cuve de bitume ! Elliott frissonna intérieurement. « Non, dit-il, je n’en ai pas la moindre idée. Mais il a de nombreux ennemis, des gens à qui il doit de l’argent. Je boirais bien un autre verre. Faites signe au serveur, je vous prie. »

 

« Jeune seigneur Summerfield, dit-elle, les yeux posés sur sa bouche délicate, allons festoyer dans ma suite. Quittons cet endroit et restons seuls.

— Comme vous voudrez. » Le rougeoiement inévitable de ses joues. Oh, à quoi devait ressembler le reste de son corps ?

« Certes, mais vous, le voulez-vous ? » Elle lui effleura le menton du bout des doigts.

« Oui », murmura-t-il.

Elle quitta la piste de danse et prit son sac et sa pochette, puis ils sortirent de la salle de restaurant et retrouvèrent les salons encombrés.

« Suite 201, dit-elle en lui montrant sa clef. Comment allons-nous la trouver ?

— Nous allons prendre l’ascenseur jusqu’au deuxième étage. Votre suite se trouve sur le devant. »

L’ascenseur ? Il la conduisit vers une paire de portes en cuivre. Il enfonça un petit bouton.

Un grand dessin était exposé entre les portes : Aïda. Avec les mêmes personnages égyptiens qu’elle avait déjà vus. « Ah, l’opéra, fit-elle.

— Oui, quel événement ! » La porte de cuivre s’était ouverte. Dans la petite pièce, grande comme une cellule, un homme paraissait les attendre. Elle entra. Cela ressemblait à une cage. Elle fut prise d’une terreur soudaine. La porte se referma. Une sorte de piège. Et la cellule s’éleva.

« Seigneur Summerfield !

— Tout va bien, Votre Altesse. » Il l’enlaça et elle posa la tête sur sa poitrine. Oh, il était bien plus doux que tous les autres, et quand un homme fait montre de douceur, même les déesses de l’Olympe ne peuvent résister.

Enfin les portes se rouvrirent. Il l’entraîna dans un couloir silencieux.

« Qu’est-ce qui vous a effrayée ? » demanda-t-il. Il n’y avait ni moquerie ni désapprobation dans le ton de sa voix. Elle était presque rassurante. Il lui prit sa clef et l’introduisit dans la serrure.

« La petite chambre a bougé, soupira-t-elle. On dit bien comme ça en anglais ?

— Tout à fait. » Ils entrèrent dans le salon richement décoré. « Vous êtes la créature la plus étrange. Si loin de ce monde. »

Elle tendit la main et lui caressa le visage avant de l’embrasser délicatement. Ses yeux bruns se troublèrent, soudain. Puis il l’embrassa à son tour, avec une flamme qui la surprit.

« Pour cette nuit, seigneur Summerfield, voici mon palais. Nous devons maintenant chercher la chambre à coucher royale. »

 

Il l’avait aidée à ôter sa belle robe de satin vert. Il la déposa sur une chaise et, quand les lumières furent éteintes, elle vit la ville à travers les rideaux pâles. Elle vit le fleuve.

« Le Nil », murmura-t-elle. Elle aurait voulu lui dire comme elle trouvait beau ce ruban scintillant qui traversait la grande cité, mais une ombre s’abattit sur son âme. Une image s’imposa à elle avant de s’effacer, très rapidement. Des catacombes, un prêtre qui la précède.

« Qu’y a-t-il, Votre Altesse ? »

Elle releva lentement la tête. Elle avait gémi, et c’est ce qui l’avait inquiété.

« Vous êtes si tendre avec moi, jeune seigneur Summerfield », dit-elle. Il n’y avait pas chez ce garçon la moindre trace de grossièreté.

Elle vit qu’il s’était également dévêtu, et la contemplation de ce jeune corps lui plut énormément. Elle posa les mains sur son ventre plat, puis sur sa poitrine.

Elle l’embrassa plus sauvagement en écrasant ses seins sur sa poitrine. Il avait du mal à se maîtriser. Il l’aurait emportée tout de suite vers le lit. Il s’efforça de continuer à faire preuve de douceur.

« Vous êtes si irréelle, dit-il à voix basse. D’où venez-vous ?

— D’un monde où règnent le froid et la nuit. Embrassez-moi. Je n’ai chaud que lorsque l’on m’embrasse. Allumez un feu en moi, seigneur Summerfield, où nous nous réchaufferons tous deux. »

 

La suite de Julie. Samir posa les journaux sur la table. Julie buvait une deuxième tasse de café doucereux.

« Vous ne devez pas me laisser seule ce soir, Samir. Pas tant que nous n’aurons pas eu de nouvelles de lui. Promettez-moi de ne pas me laisser.

— Je resterai là, Julie, mais peut-être devriez-vous dormir. Je vous réveillerai si j’apprends quelque chose.

— Non, je veux seulement me changer, dit-elle. J’en ai pour une minute. »

Elle se retira dans sa chambre. Elle avait renvoyé Rita une heure plus tôt, elle ne désirait être qu’avec Samir. Elle avait les nerfs en pelote. Elle savait qu’Elliott se trouvait à l’hôtel, mais ne pouvait se résoudre à l’appeler. Elle ne voulait ni le voir ni lui parler. Pas avant de savoir ce que Ramsès avait fait.

Lentement, elle ôta les épingles de ses cheveux en regardant d’un air absent dans le miroir. Pendant un instant, elle ne distingua rien de précis, puis elle se rendit compte qu’un grand Arabe en tunique blanche l’observait, posté dans la pénombre de la pièce. Son Arabe, Ramsès.

Elle pivota et ses cheveux cascadèrent sur ses épaules. Son cœur allait éclater.

Elle se serait évanouie s’il ne l’avait pas rattrapée. C’est alors qu’elle vit la tache de sang noirâtre sur le blanc de la tunique.

En silence, il l’enlaça et la serra contre lui.

« Ma Julie, dit-il d’une voix brisée par l’émotion.

— Depuis combien de temps es-tu là ?

— Très peu, mais je ne veux pas parler, je veux seulement te tenir dans mes bras.

— Où est-elle ? »

Il la lâcha et recula de deux pas. « Je l’ignore, dit-il d’un air triste. Je l’ai perdue. »

Julie le regarda marcher dans la pièce. Oui, elle l’aimait, elle en avait pleinement conscience. Peu importait ce qui avait pu se passer. Mais elle ne pouvait le lui avouer, pas avant de savoir…

« Je vais appeler Samir, dit-elle. Il attend au salon.

— Je veux rester seul avec toi un instant. »

Pour la première fois, il donnait l’impression de redouter quelque chose de sa part.

« Tu dois me dire ce qui s’est passé. »

Impassible, il la regardait. Et puis, brusquement, il s’abandonna, douloureusement. Il était inutile de nier.

D’une voix tremblante, elle dit : « Tu lui en as donné, n’est-ce pas ?

— Tu ne l’as pas vue, dit-il avec calme. Tu n’as pas entendu le son de sa voix ! Tu ne l’as pas entendue pleurer. Ne me juge pas. Elle est aussi vivante que moi ! Je l’ai ramenée à la vie. Je suis le seul juge de ma conduite. »

Elle se tordait les mains.

« Que veux-tu dire ? Ne sais-tu pas où elle est ?

— Je veux dire qu’elle m’a échappé. Elle m’a attaqué, elle a essayé de me tuer. Et elle est folle. Lord Rutherford avait raison. Elle est complètement folle. Elle l’aurait étranglé si je n’étais pas intervenu. L’élixir n’a rien changé à cela, il n’a fait que guérir son corps. »

Il fit un pas dans sa direction, mais elle lui tourna le dos. Elle allait, une fois de plus, se mettre à pleurer. Que de larmes versées !

« Implore tes dieux, lui dit-elle tout en regardant son reflet dans le miroir. Demande-leur conseil. Mon Dieu ne pourrait que te condamner. Mais quoi qu’il advienne à cause de cette créature, une chose est certaine. » Elle se retourna pour le regarder droit dans les yeux. « Tu ne dois jamais, je dis bien jamais, fabriquer une nouvelle dose d’élixir. Consomme ce qu’il en reste, fais-le en ma présence. Ensuite, efface la formule de ta mémoire. »

Pas de réponse. Lentement, il ôta sa coiffe et passa la main dans ses cheveux.

« Te rends-tu compte de ce que tu dis ?

— Si le boire est trop dangereux, alors trouve un endroit dans les sables du désert, creuse un puits profond et jette-le dedans. Débarrasse-t’en.

— Je voudrais te poser une question.

— Non. » À nouveau, elle lui tourna le dos. Elle se boucha les oreilles, mais il lui prit les mains et les lui abaissa. Leurs regards se croisèrent dans le miroir. Son corps était brûlant contre le sien.

« Julie, la nuit dernière… Si, au lieu d’emporter l’élixir avec moi au musée, au lieu de le verser sur les restes de Cléopâtre… je te l’avais offert, ne l’aurais-tu pas pris ? »

Elle refusa de répondre. Il lui serra les poignets et la força à le regarder.

« Réponds-moi ! Si je ne l’avais jamais vue couchée dans cette vitrine…

— Mais tu l’as vue…»

Elle avait bien l’intention de résister, mais il la surprit par son baiser, par la violence désespérée de son étreinte, par ses mains qui se déplaçaient presque cruellement sur ses joues et son visage. Il murmura dans la langue des anciens Égyptiens quelque chose qu’elle ne comprit pas. Puis il lui dit doucement en latin qu’il l’aimait. Il l’aimait. Cela expliquait et excusait à la fois toutes ses souffrances. Oui, il l’aimait : il avait dit cela comme s’il venait de le comprendre. Les larmes vinrent à nouveau aux yeux de Julie, ce qui la rendit furieuse.

Elle recula avant de l’embrasser à de nombreuses reprises, puis de s’abandonner contre sa poitrine.

« À quoi ressemble-t-elle ? »

Il soupira.

« Elle est belle ?

— Elle l’a toujours été, et elle l’est aujourd’hui. Cette femme a séduit César, Marc Antoine, le monde entier. »

Elle eut un mouvement de recul.

« Elle est aussi belle que toi. Mais tu as raison : elle n’est pas Cléopâtre, c’est une étrangère dans le corps de Cléopâtre. Un monstre qui voit par les yeux de Cléopâtre. Et qui cherche à profiter des talents de Cléopâtre. »

Que pouvait-elle répondre à cela ? L’issue de cette histoire reposait entre ses mains à lui. Il en avait d’ailleurs toujours été ainsi. Elle se dégagea de son étreinte et alla s’asseoir dans un fauteuil.

« Je la retrouverai, dit-il. Et je corrigerai cette affreuse erreur. Je la rejetterai dans les ténèbres d’où je l’ai tirée. Elle ne souffrira qu’un peu. Ensuite elle dormira.

— Mais c’est horrible, il doit bien y avoir d’autres moyens…» Elle éclata en sanglots.

« Que t’ai-je fait, Julie Stratford ? Qu’ai-je fait de ta vie, de tes tendres rêves, de tes ambitions ? »

Elle prit son mouchoir dans sa poche et le pressa contre sa bouche. Elle s’obligea à mettre un terme à ces pleurnicheries ridicules. Puis elle leva les yeux vers lui. Devant elle, il n’y avait qu’un homme. Un être immortel, oui, jadis un souverain, de tout temps un maître, mais un être humain comme nous tous. Aussi faillible. Aussi digne d’être aimé.

« Je ne peux vivre sans toi, Ramsès, dit-elle. Enfin, je le pourrais, mais je ne le veux pas. » Ah, c’était lui qui pleurait à présent. Elle tourna la tête pour ne pas l’imiter. « La raison n’a plus rien à voir là-dedans. Mais c’est cette créature que tu as fourvoyée. C’est cette chose que tu as ressuscitée qui va souffrir. Tu parles de l’enterrer vivante. Je ne peux pas… je ne peux pas…

— Aie confiance en moi. Je trouverai bien un moyen moins douloureux. » Il hésita. « Il vaut mieux que tu saches la vérité. Ton cousin Henry est mort, c’est Cléopâtre qui l’a tué.

— Quoi ?

— Cela s’est passé dans la maison qu’occupait Henry, dans les vieux quartiers du Caire. C’est là qu’Elliott l’a conduite. Il m’avait suivi au musée. Quand les soldats m’ont arrêté, Elliott a pris soin de la créature que j’avais ressuscitée. Oui, il l’a emmenée, et elle a tué Henry et sa maîtresse, Malenka. »

Elle secoua la tête et, encore une fois, porta les mains à ses oreilles pour se les boucher. Tout ce qu’elle savait de Henry, de la mort de son père, de la façon dont il avait tenté de la tuer à son tour, tout cela ne lui était d’aucun secours. Plus rien ne la touchait, sinon un terrible sentiment d’horreur.

« Fais-moi confiance quand je te dis que je trouverai un moyen moins douloureux. Je dois agir avant que le sang innocent ne coule à nouveau. »

 

« Mon fils n’a pas laissé de message ? » Elliott n’avait abandonné ni le gin ni le fauteuil de cuir, et il n’avait nullement l’intention de le faire. Mais il savait qu’il devait joindre Alex avant de s’enivrer plus avant. Le téléphone était le seul moyen. « Il ne sortirait pas sans me prévenir. Très bien. Samir Ibrahaim, où se trouve-t-il, celui-là ? Vous pouvez appeler sa chambre ?

— Il est dans la suite de Mlle Stratford, monsieur. Au 203. Il a demandé que tout message lui soit transmis là-bas. Vous voulez que je l’appelle ? Il est onze heures du soir, monsieur.

— Non, je vais monter, merci. »

 

Elle se pencha au-dessus du lavabo de marbre et s’aspergea le visage d’eau froide. Elle ne voulait pas se voir dans le miroir. Elle s’essuya lentement les yeux avec une serviette. En se retournant, elle le vit dans le salon. Elle entendait la voix réconfortante de Samir.

« Oui, je vous aiderai, sire, mais par où allons-nous commencer ? »

On frappa à la porte de la suite.

Samir alla répondre. C’était Elliott. Le regard de Julie rencontra le sien et elle détourna les yeux, incapable de le juger, mais aussi de lui faire face. Elle pensait seulement qu’il était impliqué dans cette histoire, qu’il en savait bien plus qu’elle. Et, soudain, la répulsion que lui inspirait ce cauchemar devint insupportable.

Elle s’installa dans un fauteuil du salon.

« Venons-en aux faits, dit Elliott en s’adressant directement à Ramsès. J’ai un plan et il me faut votre coopération. Mais, avant de vous l’exposer, permettez-moi de vous rappeler que vous n’êtes pas en sécurité ici.

— S’ils me trouvent, je m’échapperai à nouveau, répondit Ramsès en haussant les épaules. Quel est ce plan ?

— Un plan pour faire partir Julie et mon fils. Mais que s’est-il passé après mon départ ? Vous ne voulez pas le dire ?

— Elle est telle que vous l’avez décrite. Folle, d’une force incroyable et dangereuse. Seulement son corps est intact à présent. Elle n’est plus défigurée. Et ses yeux ont la couleur du ciel, comme les miens.

— Ah ! »

Elliott se tut, comme si une vive douleur lui avait percé le flanc. Julie se rendit alors compte qu’il était ivre. C’était peut-être la première fois qu’elle le voyait ainsi. Il était digne, mais ivre. Il tendit la main vers le verre de Samir, à moitié plein de cognac, et le but d’une traite.

Calmement, Samir alla chercher une bouteille.

« Vous m’avez sauvé la vie, dit Elliott à Ramsès. Je vous en remercie. »

Ramsès haussa encore une fois les épaules. Ce début de conversation avait un caractère très intime, comme si les deux hommes se connaissaient bien. Cela frappa Julie. Il n’y avait entre eux aucune animosité.

« Quel est ce plan ? demanda Ramsès.

— Vous devez coopérer. Il vous faudra mentir. Résultat, vous serez innocenté des crimes que l’on vous impute, tandis que Julie et Alex seront libres de partir. Samir ne sera plus soupçonné. Les autres problèmes pourront alors…

— Je n’irai nulle part, Elliott, dit Julie d’un air las. Mais Alex doit pouvoir rentrer le plus vite possible. »

Samir versa du cognac à Elliott, qui vida aussitôt son verre.

« Vous n’avez pas de gin, Samir ? Je préfère le gin quand je veux m’enivrer.

— Parlons clair, dit Ramsès. Je vais devoir m’en aller. La dernière reine d’Égypte erre dans cette ville avec un penchant prononcé pour le meurtre. Je me dois de la retrouver.

— Il vous faudra du cran, dit Elliott, mais on peut tout mettre sur le dos de Henry…»

 

Le calme de la nuit. Alex Savarell dormait, nu, sur les draps immaculés. La fine couverture était jetée sur ses jambes. Son visage lisse semblait fait de cire aux reflets de la lune.

Elle avait défait de nombreux paquets et examiné les robes, les tenues de soirée, les pantoufles. Elle avait posé sur la coiffeuse deux petits rectangles de carton sur lesquels était inscrit : « Entrée pour une personne ».

Cléopâtre regardait par la fenêtre. Elle tournait le dos au jeune homme qui lui avait donné du plaisir de manière quasi divine et à qui elle avait répondu de même. Son innocence et sa puissance virile étaient pour elle des trésors. Il ne s’était jamais livré aussi totalement à une femme, lui avait-il assuré.

Et maintenant il dormait avec l’insouciance d’un enfant tandis qu’elle regardait à la fenêtre…

… Et que des rêves lui venaient en prenant la forme de souvenirs. Elle se rendit compte qu’elle n’avait pas vu la nuit depuis son éveil, le froid mystère de la nuit au cours de laquelle les pensées ont tendance à se faire plus profondes. Ce qui s’imposait à elle, c’étaient les images d’autres nuits, de palais bien réels, resplendissants avec leurs sols de marbre et leurs colonnes de pierre, de tables chargées de fruits, de viandes rôties et de pichets de vin d’argent. De Ramsès qui lui parlait, alors qu’ils étaient allongés dans le noir.

« Je t’aime, comme je n’ai aimé aucune autre femme. La vie sans toi… ce ne serait pas la vie.

— Mon roi, mon seul roi, lui avait-elle dit. Que sont les autres, sinon des jouets dans la main d’un enfant ? De petits empereurs de bois que l’on déplace sur un échiquier. »

Le souvenir se ternit, s’éloigna. Elle le perdit comme elle avait perdu tous ses autres souvenirs. La seule chose certaine était la voix d’Alex dans son sommeil :

« Votre Altesse, où êtes-vous ? »

Une pensée soudaine lui traversa l’esprit. Elle ne voulait pas qu’il connaisse la mort ! Elle ne voulait pas qu’il souffre. Elle avait envie de le protéger. Elle souleva la couverture et se glissa dessous, à ses côtés. Elle ne lui ferait jamais de mal, elle le savait. La mort lui apparut alors comme une chose terrifiante et injuste.

Pourquoi suis-je immortelle alors qu’il ne l’est pas ?

« Mon amour, mon jeune et bel amour », dit-elle en l’embrassant. Il réagit aussitôt et ouvrit les bras.

« Votre Altesse. » Elle sentit son membre se tendre contre ses cuisses, à nouveau elle voulait le sentir en elle. Elle sourit. Si l’on ne peut être immortel, que l’on soit au moins enivré de jeunesse.

 

Ramsès avait écouté Elliott avec beaucoup d’attention.

« Selon vous, nous devons raconter aux autorités que j’ai eu une vive discussion avec lui, que je l’ai suivi à l’intérieur du musée et que je l’ai vu emporter la momie avant que les soldats ne m’arrêtent, c’est bien cela ?

— Vous avez menti pour l’Égypte quand vous étiez roi, non ? Vous avez menti à votre peuple en lui faisant croire que vous étiez un dieu vivant.

— Mais, Elliott, intervint Julie, que se passera-t-il si les crimes se poursuivent ?

— Cela pourrait très bien arriver, c’est pourquoi je dois partir d’ici et la rechercher.

— Il n’y a pas de preuve de la mort de Henry, dit Elliott, et personne n’en trouvera. Il est parfaitement plausible que Henry se cache dans Le Caire. Pitfield a sauté sur l’occasion quand je lui ai dit cela. Ils chercheront Henry pendant que vous la rechercherez, mais Alex et Julie seront déjà loin d’ici.

— Non, fit Julie, je persuaderai Alex…

— Julie, je peux te rejoindre à Londres, dit Ramsès. Lord Rutherford est un homme intelligent. Il aurait fait un bon roi ou un excellent conseiller. »

Elliott eut un sourire amer avant de vider son troisième verre.

« Je rendrai ce tissu de mensonges aussi convaincant que possible, dit Ramsès. Quoi d’autre ?

— C’est tout. Contactez-moi à dix heures demain matin. J’aurais alors obtenu votre immunité des mains mêmes du gouverneur. Vous vous rendrez alors à son palais afin de déposer. Nous ne pouvons pas partir sans nos passeports.

— Très bien. Je m’en vais, souhaitez-moi bonne chance.

— Mais où vas-tu commencer à chercher ? demanda Julie. Où vas-tu dormir ?

— Tu oublies, ma beauté, que je n’ai pas besoin de dormir. Je la chercherai jusqu’à ce que nous nous revoyions. Lord Rutherford, si ce plan devait échouer…

— Cela marchera. Et, demain soir, nous nous rendrons à l’opéra puis au bal ainsi que nous l’avions prévu.

— C’est absurde ! s’exclama Julie.

— Non, mon enfant. Faites cela pour moi. C’est la dernière chose que j’exigerai de vous. Je veux que le tissu social soit réparé. Je veux que mon fils soit vu aux côtés de son père et de ses amis, aux côtés de Ramsey, qui sera alors dégagé de tout soupçon. Je veux que l’on nous voie tous ensemble pour qu’il n’y ait aucune ombre sur l’avenir d’Alex. Je ne sais ce que l’avenir vous réserve, mais ne refermez pas la porte sur la vie que vous avez vécue.

— Ah, Lord Rutherford, fit Ramsès, vous ne cessez de m’amuser et de me combler. Dans un autre temps, dans une autre vie, je disais moi-même des choses aussi folles à ceux qui m’approchaient. Ce sont les palais et les titres qui nous poussent à cela. Mais je me suis trop attardé ici. Samir, venez avec moi si vous le désirez.

— Je vous accompagne, sire », dit Samir. Il se leva et s’inclina devant Elliott. « À demain, monsieur. »

Ramsès et Samir sortirent de la pièce. Julie referma la porte et se retrouva seule avec Elliott. Assis dans le fauteuil de cuir, il buvait les quelques gouttes d’alcool qui restaient au fond de son verre. Il conservait toute son élégance.

Julie parla rapidement, sans réfléchir à ce qu’elle disait, mais aussi sans accuser qui que ce soit. Elle raconta à Elliott tout ce que Ramsès lui avait appris. La nourriture qu’on ne pouvait manger, le bétail qu’on ne pouvait abattre, la soif insatiable, la faim qui tenaillait les estomacs. Elle parla aussi de la solitude, de l’isolement. Sans le regarder, elle arpentait la pièce et débitait tout d’une traite.

Quand elle eut terminé, Elliott prit la parole à son tour.

« Dans notre jeunesse, à votre père et à moi-même, nous passâmes de nombreux mois en Égypte. Nous étudiions des ouvrages savants, nous visitions d’anciens tombeaux, nous traduisions des textes, nous parcourions les sables du désert… L’Égypte ancienne était devenue notre muse, notre religion. Nous rêvions de quelque connaissance occulte qui nous emporterait loin de ce monde d’ennui et de désespoir.

« Les pyramides abritaient-elles un secret inconnu de tous ? Les Égyptiens parlaient-ils une langue magique que les dieux eux-mêmes écoutaient ? Quelles tombes restaient à découvrir dans ces collines ? Quelle philosophie restait à révéler ? Quelle alchimie ?

« À moins que cette culture ne se contentât de produire quelque chose qui ressemblât à un savoir éthéré, à un mystère véritable. Nous nous demandions parfois si les Égyptiens ne constituaient pas un peuple simple, voire brutal, et non pas sage et mystique.

« Nous n’avons jamais obtenu de réponse. Je comprends aujourd’hui que la quête même était notre passion ! La quête, vous comprenez ? »

Elle ne répondit pas. Elle le regarda. Il paraissait très âgé. Ses paupières étaient gonflées. Il prit appui sur sa canne, se leva et s’approcha de Julie pour l’embrasser sur la joue. Il fit cela avec grâce, comme tout ce qu’il faisait. Une pensée étrange la visita, qu’elle avait souvent nourrie auparavant. S’il n’y avait eu ni Alex ni Édith, elle aurait pu l’aimer et l’épouser. S’il n’y avait pas eu Ramsès.

« J’ai peur pour vous, ma chère », dit-il. Il la laissa seule.

La nuit, le silence et le vide de la nuit, avec seulement les échos d’une musique lointaine. Toutes les nuits passées, ces bonnes nuits où le sommeil n’est terni d’aucun rêve, lui apparaissaient maintenant comme les derniers plaisirs, les dernières illusions de l’enfance.

 

La Momie
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